La triste fin du comte de Biencour

La triste fin du comte de Biencour

Ce matin de mai était particulièrement froid pour la saison. À ce froid polaire se rajoutait une brise vraiment glaciale. Elle n’aidait pas à réchauffer le petit bureau mal isolé où vivaient nos héros. Edgar Madame, détective privé, devenait extrêmement grognon à cause du froid.
Son assistant Jules Ducouteau, essayait de lui remonter le moral :
- Mais enfin patron, ressaisissez-vous bon sang, essaya Jules, la situation n’est pas si pire..
- Pas si pire ! Comment ça pas si pire ! rugit Edgar, Pas une affaire depuis six mois, le loyer pas payé depuis trois et ce froid de canard qui s’éternise !

Depuis quelque temps, ce bedonnant quadragénaire passait ses journées à aboyer sur son assistant. Ce dernier, que la vie avait eu le bon goût de rentre patient, restait stoïque devant les remontrances. Edgar allait continuer à s’énerver quand on frappa à la porte !
- Oh, le doux bruit, fit Edgar en s’empressant d’ouvrir.
Et là, déception instantanée : c’était de nouveau la concierge qui réclamait le loyer !
Après plusieurs minutes de marchandage, elle accepta de leur laisser un dernier mois de crédit contre la cravate d’Edgar. Après le départ de la concierge, le pauvre Jules se fit encore plus malmener par un Edgar sans cravate !
Au moment où Jules commençait à atteindre ses limites, il y eut de nouveau des gens derrière la porte. Edgar alla ouvrir pendant que Jules se disait que, si cette fois, ce n’était pas un client, il donnerait sa démission à Edgar.

La porte s’ouvrit sur une vielle femme à l’air noble et en habit de deuil.
- Bonjour, Edgar Madame, détective privé.
- Bonjour, je suis la comtesse de Biencour, dit la dame visiblement très éprouvée.
Edgar esquissa une petite révérence et s’empressa de dire respectueusement:
- À votre service, Madame la comtesse.
- Merci beaucoup, j’aurais besoin de vos services M. Madame. Mon mari a été assassiné ! La police est passés mais leur résultat ne m’agrée point : En moins d’une heure ils ont emporté notre cuisinier sur la simple supposition que mon mari, Richard, est mort après avoir bu le café que lui avait donné ce dernier. Ils ont ajouté à cela que Richard avait vexé notre cuisinier hier, en refusant son plat. J’ai personnellement confiance en notre cuisinier qui travaillait pour nous depuis plus de 10 ans ! dit la comtesse qui ne retenait que durement ses sanglots.
- Un meurtre, dit Edgar soudainement très intéressé, comment ?
- Je ne saurais le dire, tout ce que je sais c’est que, ce matin, lorsque je l’ai quitté, il se portait très bien et trente minutes après il était mort !
- Pouvez-vous dresser un plan de la matinée?
- Absolument, répondit la comtesse qui prit une feuille et écrivit, le voilà :
« 9h00 Je me réveille, mon mari est à coté de moi et nous discutons de tout et de rien pendant 15 minutes.
9h15 Je me lève et pars prendre mon petit déjeuner.
9h30 Le cuisinier monte son petit déjeuner à Richard.
9h45 Comme mon mari n’est toujours pas là, je vais le chercher dans la chambre, et là, je le trouve mort ! »

Après avoir lu, Edgar passa la feuille à Jules et dit :
- Avez-vous des soupçons ?
La comtesse se tut mais semblait avoir une idée qu’elle répugnait à dire…
- Quelques idées ? la relança Edgar.
- Je peine à le dire mais… Mon beau-fils, Benoît, se disputait beaucoup avec son père dernièrement, à propos d’un mariage, peut être a-t-il commis cet acte atroce pour pouvoir arriver à ses fins? Quoiqu’il en soit, je suis prête à payer pour le nom du coupable (la comtesse murmura le chiffre à l’oreille d’Edgar, loin des oreilles de lecteurs indiscrets...) !
- Nous acceptons, s’écria Edgar après le court malaise que lui provoqua ce chiffre sûrement exorbitant. Où habitez-vous? Nous aimerions commencer à enquêter maintenant !
- 26 rue des Champs-Élysées, dit la comtesse avant d’éclater en sanglots, Excusez-moi, cette perte m’afflige énormément.
- Toutes nos condoléances, Madame, dit Jules avec douceur.
La comtesse sortit et, 15 minutes après, les deux hommes aussi.

Ils arrivèrent 9 minutes 54 secondes plus tard. Le chauffeur, à qui on avait promis double tarif si on arrivait en moins de 10 minutes, n’avait pas lésiné sur les coup de klaxon. Après l’avoir payé, les deux compères rentrèrent dans l’hôtel privé.
Ils passèrent 20 minutes à déambuler dans l’immense hôtel à 3 étages, puis débouchèrent finalement dans la chambre des maîtres. Le cadavre du vieillard n’avait pas été déplacé. Un café était renversé. Ils inspectèrent le mort et Jules finit par découvrir d’infimes marques bleues sur le cou de la victime, signe de strangulation ; il y avait également du sang sous ses ongles, cela semblait indiquer que la victime avait griffé son agresseur ! Alors la comtesse ne s’était pas trompée, le cuisinier n’avait bel et bien pas empoisonné le comte !
Mais maintenant qui ? Qui avait commis cet acte atroce, ce meurtre ?

À la recherche d’indices, les deux amis dressèrent un inventaire de la pièce :
« Dans l’alcôve :
- 1 lit king (rien sous le matelas)
- 4 coussins (rien dans la doublure)
- 1 drap
- 1 couette
- 1 cadavre (strangulation)

Dans l’ombre du lit :
- un briquet où sont gravées les initiales B de B… (Benoît de Biencour?)

1 Bureau contenant :
- 1 crayon
- 3 stylos
- 2 factures
- 6 feuilles blanches
- 2 tiroirs (fermés à clef)

1 Chaise

2 Tableaux amovibles
1 Tableau cachant un coffre fort… ce dernier semble avoir été ouvert il y a peu… (code inconnu)

1 penderie contenant :
- 15 pantalons à carreaux
- 15 chemises à carreaux
- 15 paires de chaussettes à carreaux
- 15 caleçons à carreaux
- 26 robes de taffetas
- 35 culottes de soie
- 10 chapeaux à plume d’autruche
- 8 paires de chausson en astrakan
- 5 manteaux de fourrure

1 fenêtre donnant sur le jardin. »

Après avoir rempli ce très complet et très exact rapport les deux inspecteurs retournèrent parler à la comtesse.
- Ah Madame, vous voilà, commença Edgar, l’enquête avance ! Tout porte à croire que l’assassin se serait introduit par la fenêtre, aurait étranglé votre mari, dévalisé le coffre fort derrière le tableau de M. Benoît, puis finalement serait reparti par où il était venu !
- Bravo ! s’écria la comtesse réjouie de l’avancement de l’enquête.
- Nous aurions une question à vous poser.
- Deux, le coupa Jules.
Edgar le regarda d’un air surpris, haussa les épaules et reprit :
- Comme je disais ou plutôt, comme j’essayais de le dire, savez-vous qui connaissait le code du coffre fort de votre mari ?
- Moi, Richard, Benoît et le majordome. Donc tout le monde à part le jardinier et le cuisinier. Ce dernier n’avait donc vraiment aucune raison de tuer Richard !
- Ah, fit Edgar légèrement déçu par la réponse.
- Et vous Monsieur, quelle est votre question ? dit la comtesse en se tournant vers Jules.
- Euh… Pourquoi la moitié de la penderie est remplie de vêtements à carreaux ?!?
La comtesse rougit un peu, comprenant qu’ils avaient vraiment TOUT fouillé, elle se ressaisit puis répondit :
- Mon mari n’avait aucun goût vestimentaire, il ne s’achetait que des carreaux, pouah !! D’autres questions Messieurs ?
Edgar fusilla Jules du regard pour son impertinence et répondit :
- Non, ce sera tous je pense, nous allons à présent interroger les domestiques et Monsieur le comte.

Plusieurs minutes plus tard, voilà Edgar et Jules devant les deux domestique restants : le majordome et le jardinier.
- Bonjour Messieurs, dit Edgar, j’aurais besoin de vos témoignages, qu’avez vous fait ce matin ?
Ou alors qu’avez vous vu, ou entendu d’anormal​ ?
- À mon réveil, à 7h50, je me suis levé et suis directement descendu à la salle à manger, témoigna le majordome. À 8h 05 le cuisinier est arrivé et allé directement en cuisine. J’ai organisé plusieurs papiers pour le comte jusqu’à l’arrivée de la comtesse à 9h15. À 9h20 le cuisinier sort enfin de sa cuisine pour donner son café à la comtesse puis retourne directement dans la cuisine. À 9h30 il ressort et monte son petit déjeuner au comte. Je discute avec la comtesse jusqu’à 9h45. À cette heure là, elle décide de monter chercher son mari, une minute après j’entends un cri et je me précipite à l’étage. En haut, je trouve la comtesse évanouie, je la ranime, elle me montre du doigt M. le comte et je réalise enfin qu’il semble mort.
- Moi, comme d’habitude, je me lève à 8h30 et vais directement tailler la haie côté cuisine. J’ai vu le cuisinier par la fenêtre et peux vous assurer qu’il n’est pas sorti par cette dernière. Le cuisinier lui même peut plaider en ma faveur : je n’ai point quitté son champ de vision. Par contre il est arrivé quelque chose d’étrange ce matin, M. Benoît n’a pas fait ses entraînements comme à son habitude : il n’a point traversé le jardin.
- Une dernière question s’il vous plaît, demanda Edgar, M. Benoît s’était-il beaucoup disputé avec son père dernièrement ?
- Oh oui ! dit le majordome, Nous avons eu, durant les deux dernières semaines, des portes qui claquaient et des hurlements. Depuis environ 3 jours plus rien, comme s’ils s’étaient, soit réconciliés, soit qu’ils avaient décidé une trêve.
- Merci beaucoup mes bon amis, dit Jules, cela nous aidera beaucoup.
Après que les domestiques soient partis, Edgar et Jules se consultèrent.
- Alors, à part s’il y a une complète conspiration de la part des domestiques, hypothèse peu probable, c’est M. Benoît qui a fait le coup, hypothèse plus probable, récapitula Edgar.
- Ou alors, encore une autre personne... dit Jules qui semblait avoir une idée en tête…

Vint ensuite l’interrogatoire de Benoît.
Les deux inspecteurs le trouvèrent dans le salon, Benoît était assis sur un fauteuil et lisait le journal, une cigarette à la bouche.
- Bonjour M. le comte, toutes nos condoléances, ouvrit Edgar.
- Bonjour, Messieurs les détectives je présume ? répondit le comte avec dignité.
- Exactement, puis-je fumer ?
- Bien sur !
Edgar sortit une cigarette de sa poche.
- Avez-vous du feu ?
Durant toute cette discussion, Jules n’arrêtait pas de faire tourner, dans sa poche, le briquet de Benoît.
- J’ai malheureusement perdu, il y a 5 jours, mon briquet auquel je tenais tant.
Edgar alla allumer sa cigarette sur un chandelier, retourna s’asseoir et continua l’interrogatoire.
- Puis-je aussi vous demandez votre matinée, vous comprenez, toute information peut être utile.
- Bien sur, ce matin, je me suis rendu chez mon amoureuse, Lady Isabelle. Je ne suis revenu à la maison qu’à 10h00.
- Selon certains dires, vous vous seriez disputé avec votre père il y a peu, est-ce bien vrai ?
- Oui, nous nous disputions à propos d’ Isabelle justement. Comme elle est anglaise, mon père ne voulait pas que je l’épouse mais j’ai réussi à le convaincre.
- Vous l’avez convaincu ?
- Oui, il m’a même signé une bénédiction de mariage. Personne d’autre que vous ne le sait. Regardez : « Moi, sous-signé Richard de Biencour, donne ma bénédiction pour le mariage de mon fils, Benoît de Biencour, avec sa damoiselle, Lady Isabelle Cromwell. »
Cette bénédiction était suivie du sceau officiel du comte.
- Ça alors ! ne put s’empêcher de s’exclamer Jules.
- Ça sent l’embrouille à plein nez, dit Edgar.
- Mais enfin, de quoi parlez vous ? demanda le comte.
- Nous avons trouvé ceci sur le bord du lit du mort, dit Jules en sortant le briquet.
- Mon briquet ?? s’exclama Benoît, Comment est-ce possible ? Vous voyez bien Messieurs : Je n’ai absolument aucune raison de vouloir du mal à mon regretté père.
- C’est là le problème : qui l’a assassiné alors ? se demanda Edgar.
- J’ai une petite idée… dit Jules. M. Benoît puis-je poser une question lourde en accusation ?
- Bien sur, allez-y.
- Mme la Comtesse aimait-elle beaucoup votre père ?
- Ma belle-mère ?
- Oui.
- Si oui, elle ne l'a jamais beaucoup montré, elle n’a jamais rendu ouvertement l’amour que lui portait mon père.
- Mais, si on vous écarte, qui hériterait de la fortune de votre père ? continua Jules.
- Elle sûrement, dit le jeune comte en se rendant petit à petit compte de l’immense supercherie de sa belle-mère.
- Personne ne perdrait son briquet en assassinant quelqu’un, émit Jules. Je pense que quelqu’un, par exemple Mme la comtesse, l’aurait semé là pour vous écarter de l’héritage, en pensant que tous les faits ("briquet", "vous n’avez pas fait vos exercices", "vous vous étiez disputé avec M. Richard") vous incrimineraient instantanément. Elle ne devait pas savoir que vous vous étiez réconcilié avec votre père.
- Vous avez raison !
- Reste encore à réussir à la confondre, nous n’avons aucune preuve de ce que nous avançons.

Au moment où Jules finissait de dire sa phrase, la comtesse débarqua à l’improviste dans le salon.
- Quelle odeur nauséabonde, Benoît je vous avais pourtant demandé de ne pas fumer dans le salon, vous savez que je ne supporte pas l’odeur de la cigarette ! marmonna la comtesse en ouvrant la fenêtre.
- Mme la comtesse ! dit Edgar. Il ne nous reste qu’une seule chose à vérifier avant d’incriminer le coupable : Le comte semble s’être défendu dans la lutte qui l’entraîna à la mort. Il aurait sûrement griffé le bras de son agresseur ! J’aimerais que vous deux me montriez vos avant bras !
- Moi aussi ? demanda la comtesse en blanchissant.
- Oui vous aussi, dit Edgar.
Benoît s’exécuta en souriant de la feinte d’Edgar : Ses bras étaient impeccables.
La comtesse regardait d’un côté à l’autre à la recherche d’une aide potentielle, personne ! Elle blêmit de plus en plus mais ne montra toujours pas ses avant bras...
- Dois-je prendre cela comme un aveu ? demanda Edgar.
La comtesse, se sentant découverte, devint verte de rage et hurla des mots que je ne pourrais répéter ici tenant compte de leur vulgarité !

Jules se félicita intérieurement pour avoir découvert l’identité de la coupable mais ne put s’empêcher de murmurer : « triste fin, pour un comte ».

Published by

avatar_leo.jpg

Léo

USA

Comments

Très bonne intrigue policière Léo, tu as su utiliser les astuces suivies par de nombreux auteurs de polars. Tu devrais en écrire un second avec les mêmes personnages. Bravo Bapak
Written on Mon, 15 May 2023 08:05:08 by Bapak
Pas mal, pour une patate!
Written on Sun, 14 May 2023 21:24:17 by Ben

Add a comment